La musique à portée des enfants en situation de handicap : création musicale aux Primevères

 

Laurent Latona a mené cette action de création, il n’a pas rédigé ce billet, mais avec Quentin, le Cefedem lui rend hommage à travers cet écrit. 

Préambule

Après quelques recherches d'un lieu où mener notre action EAMC, nous avions décidé avec Laurent de collaborer avec la Maison de Convalescence Le Val Rosay située à Saint Didier-au-Mont-d’Or. Des discussions s'étaient engagées avec des kinésithérapeutes et leur responsable, afin de leur expliquer d’une part les enjeux d’une action de médiation culturelle en tant qu’artiste enseignant, puis d’autre part ce que nous voulions leur proposer, et réfléchir sur la manière de co-construire notre action. Mais, à la suite de problèmes de communication durant l'été, par mail notamment, la responsable a finalement mis un terme à notre possible collaboration.

Notre projet commençait à prendre du retard au fil des mois, lorsque nous nous sommes orientés vers les personnes en situation de handicap, moteur et/ou mental. Après prospection et une discussion avec notre formateur, nous avons contacté plusieurs établissements, en expliquant de nouveau les raisons nous motivant à collaborer avec eux sur une période donnée. C’est alors que l’établissement des Primevères, lié à l’association IRSAM, a accepté de nous recevoir pour faire davantage connaissance, et mettre en place notre action de médiation.

Les Primevères

Avant de vous présenter l’IRSAM et l’établissement des Primevères, précisons que nous avons réalisé notre action sur cinq séances d’une heure et demie, entre mai et juin 2018.

L’Association IRSAM a été créée il y a plus d’un siècle dans la ville de Marseille (13) à la demande du Père DASSY, par la « Congrégation Religieuse des Sœurs Marie Immaculée ». Cette association loi 1901 a su prospérer en étant reconnue d’utilité publique,. Inscrite dans le secteur médico-social, elle est destinée aux personnes en situation de handicap et plus particulièrement aux "déficients sensoriels". (source :www.irsam.fr).

Aujourd’hui, l’association compte 25 établissements ou services répartis dans trois régions françaises : la PACA, Auvergne Rhône-Alpes ainsi qu’à la Réunion. Soit, plus de 1 350 enfants, adolescents et adultes en situation de handicap traités par 890 employés, éducateurs, musicothérapeutes et autres soignants.

L’établissement  Les Primevères  est qualifié « d’Institut pour déficients visuels » (IDV). Il ouvre ses portes à chaque individu souffrant de déficience visuelle dont la majeure partie sont des jeunes de moins d’une vingtaine d’années, proposant à chacun des services et un suivi personnalisés. Le personnel soignant procède par une approche globale, à la fois « éducative, pédagogique, rééducative, sociale, médicale et psychologique » qui s’avère nécessaire car la plupart des patients enregistrés dans l’établissement souffrent de troubles autistiques. Le bâtiment propose 28 places en internat, 12 places en semi-internat ainsi qu’une multitude de services afin de traiter au mieux chaque pathologie  en essayant d’apporter soin et protection aux jeunes tout en leur permettant de s’intégrer au reste de la société.

Une petit groupe d’enfants des Primevères et leur personnel soignant et encadrant.

Le groupe avec lequel nous avons travaillé dans le cadre de notre action EAMC (Enseignant Artiste Médiateur dans la Cité) était composé de six enfants âgés de 8 à 12 ans. Deux d’entre-eux sont non-voyants et les quatre autres enfants sont malvoyants. De surcroît, chacun d’eux présente un ou plusieurs troubles autistiques différents.

De leur côté, les trois éducateurs-trices en charge du groupe, sur une période minimale d’un an, nous ont informés de la très grande variété de formes autistiques existantes. Néanmoins, toutes ces formes d’autisme, si diverses et variées soient-elles, comprennent un point commun : la création d’un micro-environnement axé sur la personne souffrant du handicap, et la difficulté à composer avec le reste de la société, dans le cas présent avec le reste du groupe.

Une activité musicale qui diffère de la musicothérapie

L'objet de notre action a été, au travers d'activités musicales telles que l'improvisation et la composition, d'amener ces enfants à bénéficier d'un projet musical de groupe, car s'ils ont en effet occasionnellement accès à des activités musicales au sein de leur structure, il est bien plus rare pour eux de pouvoir se retrouver en groupe pour le faire, ou encore d'avoir un projet à moyen terme, qui ne soit pas l'objectif d'une seule séance. Il faut bien noter la présence d'une musicothérapeute, qui a par ailleurs bien participé à l'élaboration du projet. Néanmoins, tous les membres du groupe n'avaient pas forcément fait de séances de musicothérapie, et quand bien même, il s'agissait le plus souvent de séances en moins grand nombre et sans réel projet dont ils étaient sensés être les constructeurs. Les objectifs de ces séances de musicothérapie étaient donc sans doute d'un autre ordre que ceux que nous voulions proposer. En ce sens, nous espérions apporter une nouvelle approche possible avec les résidents, que cette structure pourrait réutiliser et se réapproprier à l'avenir.

Le personnel soignant et encadrant, médiateurs indispensables à la médiation

Le fait de réaliser un projet en tant qu’artiste enseignant, non comme musicothérapeute, avec des enfants autistes et non-voyants ou malvoyants nous a appris combien la présence et la participation des éducateurs spécialisés et autre personnel soignant est rassurante et indispensable pour que l’activité puisse être menée à bien. Ces adultes accompagnent quotidiennement les enfants dans leurs activités, pendant leurs soins, les récréations, les cours, etc. Pour mener ce projet de création, il est nécessaire que les jeunes se sentent en sécurité, avec des personnes qu’ils connaissent. Cela s’est particulièrement ressenti pendant que les moments de création musicale. En effet, certains pouvaient se comporter d’une manière ou d’une autre, absolument incompréhensible pour une personne ne les côtoyant pas, pour exprimer de la fatigue, de l’enthousiasme, de la joie (souvent extrême), ou encore de la frustration ou une communication difficile, à travers se qu’ils vivaient en tapant sur les percussions et les touches de piano, par exemple. Il est donc primordial que des adultes les côtoyant régulièrement puissent nous traduire au mieux les expressions des enfants.

Composer avec le matériel musical présent sur le lieu d’accueil des intervenants et nos propres instruments.

Nous avons utilisé certains instruments sur place, la plupart provenant de la salle de musicothérapie. Chacun s'est essayé à plusieurs de ces instruments : guitare, djembé, congas, xylophone, piano, percussion corporelle.

La première séance était centrée sur la découverte des instruments, les différentes manières de créer du son grâce à eux (bien que certains connaissaient déjà quelques uns de ces instruments), et sur la présentation du projet, à savoir "inventer collectivement un morceau, puis l'enregistrer à la fin des 5 séances".

Bien sûr, malgré les discussions préalables avec le personnel, nous ne savions pas exactement à quoi nous attendre durant les séances ni la manière dont nous aurions à les organiser. Les éducateurs étaient donc présents pour gérer d'éventuelles difficulté vis-à-vis de la réaction des membres du groupe, et s'il a en effet pu arriver à l'un d'eux par exemple de montrer une réaction colérique ne voulant pas partager les instrumentst conduisant le personnel à intervenir, ce genre de cas s'est finalement révélé assez rare. Les interventions des éducateurs ont donc pu se centrer sur les activités elles-mêmes, favorisant leur intérêt.

Arrivé à la quatrième séance (l’avant-dernière), nous avons essayé d’organiser la séance pour que les enfants jouent tour à tour, ou par petits groupes, dans le but qu’ils puissent s’écouter. Cependant, peu d’entre-eux, deux sur six, parvenaient à se souvenir des consignes et contraintes, aussi simples puissent-elles paraître. De fait, il était difficile de créer une mélodie répétitive. A l’inverse, certains réussissaient à reproduire un rythme de nombreuses fois.

Enfin, à la dernière séance, nous avons rappelé aux enfants que l’on enregistrerait un morceau, ce qui semblait leur faire plaisir, de façon plus ou moins intense. Pour terminer, nous leur avons fait écouter le produit de leur effort : le moment était touchant.

Une action de médiation culturelle qui donne à réfléchir.

Au départ déroutant, avec des séances filant à toute allure, ce projet a fini à mon sens par aboutir au moins à l'un de ses objectifs fondamentaux : développer l'écoute mutuelle des personnes à l'occasion d'une pratique musicale de groupe. Il y a eu un réel progrès de ce côté-là, même si les consignes ont toujours eu un peu de mal à être bien suivies par tous. C'était donc une belle surprise pour moi, puisque j'avais peur que la dernière séance n'aboutisse à rien de plus que les précédentes. Si c'était à refaire, j'envisagerais bien sûr un plus grand nombre de séances.

En dehors des questions sur le comportement, se pose aussi celle de la réception du projet et des séances par les membres du groupe. Les retours du personnel, plus à même d'interpréter leur réaction, était que les séances leur plaisaient. D'ailleurs, ils redemandaient d'une semaine sur l'autre quand nous reviendrions. L'idée, donc, nous semblait bonne. En revanche, il a souvent fallu aller vers la simplification pour maintenir au maximum l'attention de chacun. Par exemple, nous avons eu à aller davantage vers la démonstration que vers la parole pour nous faire comprendre. De plus, notre idée initiale de leur faire jouer un morceau composé, avec de l'improvisation, s'est vite muée en l'idée de rester sur une improvisation, bien que régie par des consignes ou contraintes, que nous testions au cours des séances pour définir celles qui pouvaient fonctionner le mieux. En effet, passer par l'écrit n'était pas envisageable, mais même notre idée de leur faire retenir des éléments (comme l'attribution de rôles) ne marchait pas, puisqu'ils en oubliaient la plupart en l'espace d'une semaine.

Nous ne pouvions donc leur faire jouer un morceau avec des rôles bien définis et différentes parties qu'en décidant avec eux de la marche à suivre le jour même. C'est pourquoi la dernière séance est celle qui a vraiment décidé de la forme du morceau sur lequel ils ont improvisé, les séances précédentes n'ayant été qu'un repérage des procédés qui étaient efficaces pour eux. La version enregistrée de leur improvisation a semblé leur avoir plu, et surtout, bien qu'il ait parfois fallu murmurer à l'un ou l'autre ce qu'il avait à faire s'il l'oubliait pendant le jeu musical, ils ont néanmoins su respecter des consignes qui avaient pour but de les habituer à s'écouter les uns les autres ("s'arrêter lorsqu'on entend le xylophone" etc.). En ce sens, il nous semble que le projet a été réussi, même si évidemment, ces cinq séances ont été très courtes pour un tel projet et que quelques unes en plus auraient pu faire mûrir la chose

De mon côté, j’ai appris à canaliser mes émotions dans le contexte de cette action de médiation auprès d’enfants autistes et malvoyants sinon non-voyants. J’ai remarqué que la mission la plus compliquée était de maintenir leur attention, car la plupart des enfants étaient, comme le disait un éducateur, « dans leur bulle ». Tout comme Laurent le pensait, il me paraît évident qu’un nombre de séances plus conséquent aurait peut-être pu produire un autre « résultat », bien que je n’en sois pas tout à fait convaincu. Cependant, comme de nombreuses sources dont le personnel soignant et des connaissances me l’ont affirmé, il y a tellement de formes d’autisme différentes, qu’il est impossible de vraiment savoir à l’avance comment des séances de création musicale peuvent se dérouler, en fonction des personnes et de leurs maladies.

J’émets l’hypothèse qu’il pourrait y avoir plusieurs types de dispositifs, individuels et collectifs, établis conjointement entre l’artiste enseignant et le personnel soignant, en charge de nos compagnons en situation de handicap. En effet, il me semble qu’ils n’ont pas tous les mêmes besoins, et dans ce cas, il est important de prendre cela en compte. Que recherche-t-on ? Est-ce que la musique est là pour apporter un moment d’évasion « sortant » le patient de son handicap ? Est-ce dans le but de le sociabiliser, dans la limite du possible ? Est-ce pour le soigner en lui faisant ressentir certaines fréquences, vibrations qui interagiraient avec son corps et son esprit ?

Par ailleurs, j’ai remarqué que certains des enfants n’avaient absolument pas conscience de leurs aisances. C’est par exemple le cas de l’un jeune garçon disant ne jamais avoir joué de piano, et qui joue excellemment bien une fois l’instrument devant lui.

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