L'Opéra et les publics dits "empêchés"

 

Nous étions trois étudiants : Alexy, guide de l’Opéra qui se demandait comment l'institution pouvait faire évoluer son accueil à un public plus large, Clémence, musicienne intervenante, qui s’interrogeait sur la démocratisation de l’accès aux espaces culturels pour les publics dits “empêchés” et Maxime, objecteur de conscience qui se questionnait sur les liens que l’on peut créer entre différentes structures pour qu’un tel projet fonctionne. Pour la conception comme la réalisation, les trois étudiants se sont réparti les rôles en fonction de leur réseau et compétences respectifs, qui constituent les trois piliers principaux de ce projet comprenant trois parties : l’Opéra, les publics et la musique.

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Alexy a œuvré auprès de l’Opéra de Lyon pour organiser les visites, ainsi que la gratuité de la visite pour l’une des deux structures concernées. Il a également repensé entièrement le contenu même de la visite afin de proposer un discours adapté à son auditoire.

Clémence a proposé à deux structures de son réseau de participer au projet : le Centre Médico-Psychologique (CMP) où elle intervient dans le cadre de sa profession de musicienne intervenantante et le Centre de Loisirs, avec qui elle avait déjà travaillé à plusieurs reprises.

Maxime a élaboré les arrangements des musiques que les enfants ont été amenés à entendre et à apprendre.

Le Centre Médico-Psychologique

Le Centre Médico-psychologique (CMP) est un centre de soins psychiatriques qui proposent tout à la fois des suivis individuels mais aussi des groupes  thérapeutiques, à destination des enfants, adolescent et adultes. Depuis 4 ans, le CMP accueille hebdomadairement une musicienne intervenante du Conservatoire de Lyon, Clémence, dans le cadre du projet « la Ruche à Musique », en partenariat avec la Ferme du Vinatier. Elle intervient dans le cadre de l'unité du soir, un groupe thérapeutique bihebdomadaire, pour les enfants de 4 à 6 ans, maintenus dans le cursus scolaire et qui présentent des troubles du comportement.

Le groupe était constitué, cette année, de trois enfants : G. (5 ans), M. (6 ans), M-E. (4 ans) et de 4 soignants : Anne (psychologue), Marie (infirmière psychologique), Nicolas (infirmier psychologique) et Marie (infirmière psychologique stagiaire).
 

L'organisation

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Nous avons décidé d'organiser notre action en trois temps :

  • Rencontre avec Alexy, lors d'une séance musicale au CMP
  • Visite à l'Opéra
  • Retour avec Maxime, lors d'une séance musicale au CMP

 

Il n'était pas envisageable de venir tous les trois lors d'une séance. Le nombre d'adultes représentait déjà le double du nombre d'enfants lors des séances musicales. Nous avons donc décidé de présenter en priorité Alexy, car il serait amené à leur parler lors de la visite de l'Opéra. Il s'est donc présenté, avec sa flûte, en tant que musicien. A la fin de la séance, nous avons expliqué conjointement (Alexy, Clémence et l'équipe des soignants) que nous nous reverrions lors de la visite de l'Opéra de la semaine suivante.

Les enfants

G. n'était pas investi en séance musicale et la maman avait décrété qu'il ne viendrait plus les soirs où il y avait les interventions musicales (donc qu'il ne prendrait pas part au projet).
M. était très investi mais ces troubles mentaux engendraient d'importants soucis de concentration et son enthousiasme pouvait l'amener à un état d’excitation extrême qu'il n'était plus en mesure de gérer. Il avait à l'occasion, besoin de sortir des séances pour retrouver son calme et se rendre émotionnellement disponible aux activités proposées.
M-E. était intéressé, mais avait du mal à s'intégrer dans un collectif, il avait besoin de se retrouver en situation individuelle pour être pleinement concerné.
Lors de la rencontre avec Alexy, G. était absent, M. n'a pu participer qu'à un moment en début de séance et nous l'avons retrouvé en fin pour annoncer la visite de la semaine suivante. Quant à M-E. il était vraiment ravi et à l'aise avec Alexy, le rapport individuel qui s'est créé par les circonstances l'a beaucoup investi pour la suite du projet.
Le jour de la visite, M. ne se sentait pas bien mais devant son enthousiasme et son insistance pour aller à l'Opéra, la maman et l'équipe des soignants ont décidé qu'il participerait. L'enfant avait pris une médication avant de venir et l'équipe des soignants s’est engagée à surveiller son état de santé.

Le budget

Le CMP n'a pas le budget pour payer la visite à l'Opéra, Alexy a donc négocié la gratuité pour rendre ce projet possible, ce qui n’a pas était très compliqué du côté de l’Opéra.
Cependant, en contrepartie la structure a organisé la visite, en proposant aux familles d'amener les enfants à un autre créneau que celui de l'unité du soir (le mercredi en début d'après midi) et réalisant de façon autonome la réservation du véhicule et son stationnement.
 

La visite

Nous nous sommes donc tous retrouvés le mercredi à 13h devant les marches de l'Opéra. Alexy et Clémence ont présenté Maxime brièvement, les enfants avaient tant hâte d'entrer qu'ils ne se sont pas formalisés de voir un adulte supplémentaire se greffer à notre groupe.
L'équipe de soignants avait bien discuté avec les enfants, Marie, l'infirmière psychologique était déjà venue voir des représentations, Anne en revanche n'était jamais entrée, elles ont confronté leurs points de vue, suppositions et idées avec les enfants pour répondre à la fameuse question : « Qu'allons-nous découvrir ? »
Le parcours qu'avait prévu Alexy alternait entre moments de marches (et d'escaliers) et pauses. Son discours a été remanié pour apporter des informations tant pour les enfants que pour les adultes (ni trop, ni trop peu). Dans le bilan que nous avons fait plus tard avec l'équipe des soignants, ceux ci ont tenu à souligner qu'ils s'étaient sentis concernés autrement que de par leur rôle d'encadrants : « Nous avons découvert, nous aussi, ce lieu extraordinaire. En fait, on en a profité autant que les enfants ! » 

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“Cette visite et ce projet ont changé la vision que j’avais de mon métier. Clairement adapter un discours en fonction des publics de visite me semble de fait très important en terme de démarche, d’accessibilité mais aussi sur le point de vue de la considération des publics que l’on a en face de soit pendant la visite. Les faire voyager dans la structure et le bâtiment de Jean Nouvel, c’est proposer une expérience dans un lieu, c’est accompagner l’œil, le corps et l’esprit, mais c’est aussi ouvrir des portes, des espaces, des possibilités qui parfois paraissent inaccessibles d’un coté ou de l’autre à cause de représentations, de codes, d'appréhensions…
Là, dans le cas de cette visite avec les enfants et leurs encadrants, le propos est comment faire pour que ce lieu qu’est l’Opéra, avec sa stature de par l’édifice et l'entité culturelle que cela peut représenter, comment faire pour que ces personnes se sentent occuper une place de façon légitime et comment faire pour que cet espace soit un endroit ouvert, un lieu de découverte et accueillant et pas un endroit qui écrase, qui enferme et qui impressionne ?
Ce qui est aussi intéressant pour moi, c’est de la mettre en miroir avec le projet de Jean nouvel pour la rénovation de L’opéra de Lyon. Jean Nouvel dans son bâtiment veut créer une déconnexion avec la vie quotidienne, la réalité et l'extérieur en mettant le spectateur, le visiteur en difficulté.
En difficulté face à ses représentations d’une salle de spectacle d’opéra là où l’architecte fait le choix de rompre avec la tradition architecturale opératique mais aussi en difficulté émotionnelle, corporelle. De fait Jean Nouvel travaille sur la couleur noire (textures, matériaux, matières, lumière) et plonge le bâtiment peu à peu dans l'obscurité pour venir perturber les repères des spectateurs et transformer le chemin parcouru de l'extérieur jusqu'à sa place en salle à un parcours découverte et aventure avec soi même et les autres.
Ainsi tout l’enjeu de cette visite fut de les faire graviter dans la maison pour qu’ils puissent se saisir des différents espaces, de voir la vie de l’opéra au-delà de l’aspect structurel et leur montrer qu’ils peuvent s’y sentir bien et leur donner envie d’en voir plus, avec un temps d’observation à chaque fois, des temps d'échanges, de questionnements et d’explications.”
Alexy BLANCHARD-ROCHE

Les moments forts

Nous avons connu deux moments forts : La salle de représentation et le dôme.

Lors que nous sommes arrivés dans la salle de représentation, nous n'étions pas seuls. Le personnel de régie et quelques acteurs/chanteurs/danseurs étaient présents. L'un d'eux, un chanteur costumé et maquillé en une espèce de zombie, répétait ses chants dans le registre grave. M-E, qui d'ordinaire verbalise très peu son ressenti, nous a dit « j'ai peur » en désignant l'homme. Nous ne saurions dire s'il a réagit du fait du costume et du maquillage ou des chants. Nous l'avons rassuré en l'éloignant de l'homme et en lui expliquant qu'il ne s'agissait que d'un homme qui jouait un rôle. Le voyant s'enfermer et peu convaincu, Alexy a conclu son explication et nous avons poursuivi la visite sans encombre.
La visite s'est achevée sous le dôme, dans une immense salle de danse vitrée avec une vue superbe sur l'hôtel de ville et ses alentours. Nous avons laissé le personnel soignant s'émerveiller tandis que Clémence et Maxime proposaient des jeux musicaux. Clémence était au piano et donnait les « règles des jeux », ce qui a permis à Maxime de participer aux activités et de renforcer ses liens avec les enfants.
 

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Avant que les enfants ne partent, nous avons expliqué conjointement que Maxime nous rejoindrait au CMP lors de la prochaine séance musicale au CMP.
Lors de ce dernier moment, M. et M-E. ont joué à deviner qui jouait de quoi derrière le paravent. Nous avons fait des liens avec l'idée de l'envers de la scène, ce qui se passe en coulisse et les enfants ont demandé pour conclure à reprendre des jeux que nous avions fait sous le dôme.
À l'issue de cette séance nous avons fait un bilan avec l'équipe, enchantée à tous points de vue. Nous avons aussi eu le retour des parents : la maman de M. était contente que son fils ait pu participer et profiter de ce moment. Les parents de M-E. nous ont avoué ne pas avoir cru que la visite plairait à leur enfant. « Quand on l'emmène au musée, il est très difficile et ne s’intéresse à rien, en quelques minutes, il se lasse et demande à rentrer en enchaînant caprices sur caprices pour rentrer ». Ils ont été très émus d'apprendre que leur fils en était en réalité capable et ont posé de nombreuses questions pour réitérer l'expérience dans un cadre familial.

À la rentrée suivante, l'équipe des soignants nous a sollicités de nouveau, pour proposer le projet à un nouveau groupe. Nous leur avons expliqué qu'il n'était pas possible de négocier de nouveau une visite gratuite (et bénévole pour Alexy). Malheureusement les finances du CMP ne peuvent couvrir de tels frais. Cependant, nous leur avons suggéré de proposer des visites photographiques d'après l'expérience qu'ils avaient connue et ce compromis leur a convenu.
Nous nous sommes alors heurtés à une réalité : toutes les structures n'ont pas les moyens de financer des visites. Cependant, dans le cadre du projet « la ruche à musique », des projets similaires peuvent être présentés et obtenir des aides pour être réalisés. Des arrangements, des partenariats, des conventions peuvent être créés et donner lieu à de beaux projets. Le plus dur sera surtout de trouver des personnes investies, capables de les porter, dans le cadre de leurs fonctions, rémunérées.

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Le Centre de Loisirs

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Ce Centre de Loisirs est particulier, sur les différentes structures de la clloectivité, elle est à ce jour la seule à n'avoir non pas un espace mais quatre : un appartement, une salle des fêtes, deux pièces dans les algeco d'une école et un local au rez-de-chaussée d'immeuble.Tous ces lieux rendent difficiles les projets de groupes, c'est pourquoi, S. la directrice adjointe qui a déjà travaillé à de nombreuses reprises avec Clémence, s'est emparée du projet.
Contrairement au projet mené avec le CMP, celui-ci avait pour but de réfléchir et d'agir sur les deux sens du mot Opéra : Un lieu et une musique. Durant 5 après-midis, en période de vacances scolaires, l'ensemble des enfants de la structure (entre 80 et 100 enfants) ont préparé un spectacle musical. Il tenait à cœur à la directrice d'investir tous les enfants.

Il y avait au total 5 groupes :

  • les créateurs de décors,
  • les MaXracas (création de maracas et apprentissage de la chanson “La pluie maracas”),
  • les chanteurs « Henri Dès »,
  • les danseuses « Umberto Tozzi » (création de danse contemporaine sur un air d'Opéra chanté par Umberto Tozzi )
  • le groupe « Opéra »

 

Seul le groupe « Opéra », soit 20 enfants de 6 à 7 ans a été visité l'Opéra, accompagné par leurs animatrices Marjolaine et Farida, le mardi après-midi. Les autres jours de la semaine, nous leur avons proposé de monter un Opéra pour enfants, que Maxime avait préalablement réarrangé pour être chanté par les enfants avec aisance et accompagné par nous (guitare électrique, vielle à roue et flûte traversière).

La visite

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La visite s'est très bien passée, les enfants comme les adultes étaient intéressés. Tous ceux qui le pouvaient nous racontaient une anecdote sur l'Opéra : « une fois, je suis venue avec mon ancienne école », « je connais quelqu’un qui travaillait à l'Opéra », cela donnait un aspect très sacré au lieu.

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Après la visite, nous avions prévu de faire goûter les enfants sur les marches de la place Louis Pradel à côté de l’Opéra, nous en avons profité pour leur demander ce qu'ils avaient aimé ou non, en petit groupe. Le seul point négatif a été les marches, les points positifs étaient plus fournis : la salle de représentation, le dôme, le couloir doré, etc. Cependant le bilan écrit ne fait pas mention de ce détail. Après coup, il semblerait que la difficulté des marches ne soit plus un point négatif.

Les apprentissages avec le groupe Opéra

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Le reste de la semaine nous avons fait les apprentissages des chansons avec le groupe
Opéra. Les enfants chantaient bien et nous ont offert toute l'énergie et la concentration
possible. Nous avons demandé s'ils bénéficiaient d'intervenants musique en milieu scolaire. La réponse était non. Sur la commune, les interventions en milieu scolaire sont rares, l'accès à l’éducation musicale est à la charge des professeurs des écoles. En revanche, l'enseignement musical se fait pas des ateliers menés dans les maisons de l'enfance (la plupart se situant à côté d'une école), par le biais de l'école de musique, payante mais particulièrement soutenue par la collectivité.

Notre rapport avec les autres groupes

Dès le jeudi après-midi, nous nous sommes répartis avec les différents groupes de la maison de l'ensemble pour coordonner la restitution finale et proposer nos compétences musicales. Alexy a poursuivi les apprentissages des chants avec le groupe Opéra, Clémence a revu avec chaque groupe leur proposition artistique et les a conseillés, Maxime a adapté et/ou créé un arrangement pour chaque groupe proposant une ou plusieurs chansons.

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La représentation, mobilisation des familles, présence des représentants de la collectivité

La restitution a été un moment très fort, à l'image du reste de la semaine. Beaucoup ont répondu présent. S. a d'ailleurs souligné un taux d'absentéisme très faible. Elle nous précise que les spectateurs n'étaient pas que les parents directs des enfants mais aussi les parents éloignés et les amis de la famille. Une représentante de la collectivité était présent. Elle est venue en avance pour se présenter et a tenu à rester jusqu’à la fin de la représentation pour nous féliciter (enfants, équipe d'animation et musiciens).

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Le bilan et les engagements de la directrice adjointe du Centre de Loisirs

La première chose qu'il nous faut expliciter est que S. est la directrice adjointe. Le directeur, tout au long du projet est resté en retrait, voire s'est borné à un rôle de régisseur. Nous avons tenté de discuter avec lui, mais il a clairement exprimé “laisser S. gérer”, sous prétexte qu'il s'agissait de son projet, qu'elle connaissait et avait déjà travaillé avec Clémence. De son côté, S. nous a dit de son directeur “il est semble démoralisé par les difficultés de la Maison de l'Enfance”.
Le bilan du projet était très positif, le groupe Opéra a mené beaucoup d'apprentissages en plus de la visite, qui ont fait appel à beaucoup de concentration et de travail, qui lors de la restitution étaient visibles et audibles. Nous avons été bluffés par leur attitude et leur participation.
Le soutien des familles et amis lors de la présentation n'a fait que valoriser leurs efforts et cela a grandement participé à la réussite du projet.
Pour Sarah, la présence de l'adjointe a été une vrai récompense, elle a porté à bout de bras le projet et a pu employer celui-ci pour négocier de meilleurs conditions d'accueil des enfants.
“J'ai pu dire à la représentante de la mairie que nous proposons aux enfants des vrais projets, intéressants, riches et variés. J'ai pu argumenter pour la négociation de nouveaux locaux. Je leur ai demandé s'ils se rendaient compte de ce qu'on arrive à proposer en accueillant les enfants de façon éclatée dans une cave, un appartement et une salle des fêtes. Je leur ai dit de s'imaginer si nous avions des locaux adaptés, ce que l'on pourrait faire. Ils ont pu voir l'investissement des enfants, de leurs familles et de l'équipe d'animation, que ce qui nous ralentit et nous limite, ce sont les locaux”.

D’autre part, il semble important de mettre en avant la réaction également très positive de l’Opéra à l’issue de ces deux visites. En effet, nombreux sont les collègues d’Alexy à l’avoir félicité d’avoir non seulement organisé ces deux visites, mais également d’avoir su les mener avec brio, et captiver l’attention de l’ensemble de son groupe - aussi bien enfants que personnel encadrant -, qui selon eux, n’était pas fait pour de telles visites.

Qu’est ce qu’un public empêché ? Pourquoi ? Quelles conceptions de l'autre avons-nous ?

Ce double projet nous a beaucoup interrogés sur la conception des publics empêchés. Empêchés par quoi ou par qui ? Une capacité d’attention et de concentration moindre que la norme ? Qui dicte cette norme ? Empêché par la géographie ? Par les moyens de transports ?
Nous avons davantage l’impression que les publics comme les structures (que ce soit les structures qui accueillent les publics ou l’Opéra) sont empêchés par de fausses représentations : “L’Opéra c’est pour les riches”, “un enfant turbulent ne peut pas suivre une visite, ça ne l’intéresse pas”, “on ne sait pas gérer ces publics”

Pourquoi ne pas prendre la question à l’envers ? Il serait intéressant que la structure et son personnel s’adapte aux différents publics, sans chercher à catégoriser, classer, faire rentrer dans des cases à la fois trop générales et souvent aussi dévalorisantes pour la ou les personnes que l’on a en face de nous. Cette classification se fait sur une norme sociale, ou d’aptitudes physiques, d’habitudes, de fréquentations… les visiteurs, publics, usagers, clients, sont tous là pour une seule et même chose : découvrir un spectacle, un bâtiment, vivre une expérience qui en somme les rassemble.
S’intéresser à la particularité de chacun nous semble de bonne intention mais cela est perturbé voir gâché lorsqu’on intègre un tout qui pourrait se ranger dans la même case, dans un même sac. Où est la finalité ? Démocratiser et/ou permettre la venue, l’accessibilité de chacun à un produit culturel, c’est de fait ouvrir à tous.
Le cas du public dit empêché ou éloigné met en question tout un nombre de choses qui peuvent se corréler mais qui n’ont pas forcément de fond en commun. Un éloignement ou un empêchement peut être lié à un éloignement géographique, social, sur la tarification, sur une situation personnelle complexe et encore tant d’autres. Lorsqu’on veut bien donner l’opportunité à ces personnes en les considérant réellement, comme des spectateurs, des citoyens, on s’aperçoit qu’elles se comportent comme tout le monde et que c’est le personnel qui en s’adaptant fait que cela participe à cette démarche d’inclusion et contribue à la bienvenue de tous.
Un spectacle adapté, dans un espace adapté à recevoir tout le monde. Ainsi, ne serait ce pas l’accessibilité en terme de programmation, de praticabilité de l’édifice, et l’accueil de la structure qui fait que l’on doit nommer des publics comme empêchés ou éloignés et non pas les capacités de chacun à venir ?
Faut-il déconstruire le symbole de l'Opéra ? L'améliorer ? Comment ?
Dire que l’Opéra n’est pas fait pour tous est une erreur. Oui, les tarifs peuvent poser problèmes, c’est le cas du CMP. Mais le retour de Sarah nous pose question. Désormais qu’elle a été à l’Opéra, ce lieu lui est accessible, car elle se sent légitimée par ce projet. Pourtant elle a géré seule la réservation, l’organisation des transports, la venue.
De son côté, l’Opéra ne pensait pas que des enfants de 6 à 8 ans pourraient “tenir le choc” de la visite, et encore moins que des enfants présentant des troubles pourraient comprendre les propos d’une visite. Encore une fois la question de la normalisation est la source du problème. Se dire que “cela va être compliqué” car “on a jamais fait”. Alors que tout un chacun peut découvrir un tel lieu, s'imprégner de la vie d’une maison d’opéra et voir à quoi ressemble telle ou telle salle de spectacle ou de concert lorsque le public en est absent.
Désormais l’action doit se poursuivre sans nous. Du côté du CMP comme du Centre de Loisirs, la désacralisation par une simple visite en leur donnant un accès réel à l’Opéra et un projet musical rend possible cette poursuite. Bien des projets musicaux (ou non) peuvent permettre à ces jeunes de prendre conscience de leur légitimité à se rendre dans une salle de spectacle, celui-ci en étant un parmi tant d’autres qui existent déjà et/ou sont à inventer. De fait, à notre sens, cela a pu se faire grâce à deux choses : un souhait commun d’ouverture, de découverte et de partage et également grâce à la confiance de chacun. Ce réseau entre nos différents contacts et les différents intermédiaires a pu se réaliser grâce à l’intervention de chacun. Du concret par des rencontres, des discussions, des échanges. Le bilan que l’on peut faire de ce projet c’est une médiation qui met en liens les gens entre eux et les rends acteurs, dans différents espaces reliés par le projet mené avec les enfants et leurs encadrants.
Notre crainte vis à vis de l’Opéra est qu’il crée des visites “spéciales” avec des guides volontaires ou “expérimentés”, plutôt que de proposer à tous les guides de s’adapter systématiquement à leur public.

Il reste encore un (long?) chemin à faire pour stopper ces habitudes de catégorisation du public qui relèvent souvent du souhait des équipes de la structure, lesquels cherchent à comprendre, analyser et modifier les fréquentations par le public de l’opéra ou de la salle de spectacle. C’est une prise de conscience que chacun doit avoir à l’esprit. La structure, son personnel mais aussi ceux qui viennent à l’opéra de façon régulière ou non et aussi ceux qui ne viennent pas.
Mener des actions de ce type permet de mettre certaines choses à plats notamment certains a priori, certaines représentations qui peuvent dans l’élaboration d’un projet venir contraindre les choses voire provoquer le non succès de celui ci.

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