Transmettre (et perpétuer) les règles du jeu

Les apports potentiels de l'animation-jeu à l'enseignement de la musique - SOMMAIRE


https://www.youtube.com/watch?v=Hodp2esSV9E

Un document de formation de La Maison des Jeux de Grenoble présente le déroulement type d'une explication de règles du jeu, ainsi qu'une liste d'éléments identifiés comme pouvant faciliter ou, au contraire, compliquer cette transmission. Le professionnel du jeu insiste sur la motivation et la prise en compte du public, ainsi qu'une bonne connaissance du jeu présenté.

Connaître un jeu, ou tout du moins les mécanismes qui le régissent, parait effectivement essentiel à sa transmission/animation. De la même manière, comprendre de quoi, comment ET POURQUOI est faite la musique est indispensable à la construction d'une progression pédagogique. Il est d'ailleurs tout aussi intéressant de transposer la prise en compte du public et la gestion de la motivation au contexte de l'enseignement spécialisé de la musique.

Mais ce qui ressort avant tout de ce document est cette évidence que la meilleure manière de transmettre une règle du jeu est de le faire en situation. S'assurer de la compréhension en proposant des exemples, faire une partie "pour rien"... : la transmission des règles d'un jeu ne devrait jamais être séparée de son jeu (à part, peut être, dans le cas d'une transmission entre spécialistes, personnes disposant d'un même bagage cognitif).

Le jeu absorbe totalement le joueur.

Faisant appel à toutes ses capacités, il l'occupe entièrement. On comprend alors l’intérêt pour le philosophe ou le pédagogue de le disséquer, de l'objectiver le temps de mieux le comprendre et élaborer des stratégies de transmission.

quand on joue, on joue ; on discute après.1

Mais une fois disséqué, qu'en reste­-t­-il ? Montrer les membres éparses de l'animal pour expliquer ce qu'est une grenouille aurait plus souvent tendance à amener à conclure aux tendances meurtrières de l'enseignant qu'à permettre à un enfant de comprendre les principes du vivant. On aura beau tenter de rassembler les membres et y faire circuler un courant électrique, ce ne sera plus jamais une grenouille.

Il en irait de même pour la musique. Au départ, elle serait un jeu qui, à force de pratique et d'expériences (et d'histoire) acquière les « raffinements » et la complexité que l'on connaît aujourd'hui. Expliquer ces raffinements et cette complexité sans permettre de jouer avec pourrait permettre d'apprendre quelques faits sur la musique, mais pas l’entièreté de ce qu’elle est et encore moins comment la jouer. On parle alors de musicologie, pas de musique.

L(e)s apprenti(e)s musicien(ne)s, de part le formatage scolaire et leur expérience de la musique, sont plus ou moins aptes à se saisir de notions exposées ex­-situ. Mais est-ce vraiment le cas de la majorité d'entre eux ? Et quand bien même, qu'en est­-il des autres ? Faut il pour autant les exclure sous prétexte que nos méthodes de transmission « fonctionnent » avec quelques un(e)s ?

Tou(te)s les aspirant(e)s musicien(ne)s sont ils/elles vraiment obligé(e)s de subir une organisation pensée avant tout pour former des exécutant(e)s ? Des méthodes mises en place pour former les musiciens du roi sont elles toujours à propos ? Quels paradigmes2 et organisations sociales sous-tendent et soutiennent elles ?

[La musique] exige un abandon, une participation active, une absence de retenue et une intensité de l'expérience vécue : culture du corps, de la sociabilité et du plaisir, les trois étant  inséparables [...] En revanche, dès lors que la musique commence à s'écrire, et   à   se   codifier,   à   s'enseigner   dans   des   écoles   spécifiques   et   à   donner   lieu   à   des spectacles dans des lieux dédiés [...], c'est un tout autre rapport social qui s'instaure, une séparation entre une œuvre désormais fixée par l'écrit (et qui s'interprète) et un public qui vient l'écouter avec respect.3

***

Peut être qu'une manière de questionner ces paradigmes consisterait à conscientiser, assumer et diversifier nos rapports à l'autre en situation de "face à face pédagogique" ?

***

1. Claude Carrara, lors de l'une de nos journées de rencontre.

2. Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d'explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée (http://www.cnrtl.fr/definition/paradigme).

3. Bernard Lahire, Ceci n'est pas un tableau, essai sur l'art, la domination, la magie et le sacré, La découverte, 2015.


Les apports potentiels de l'animation-jeu à l'enseignement de la musique - SOMMAIRE

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