Structure des jeux

Les apports potentiels de l'animation-jeu à l'enseignement de la musique - SOMMAIRE


La richesse du domaine ludique est inépuisable. Cette richesse est aussi interne à chaque jeu, qui comporte une multiplicité de façons de jouer. [...] Tous les jeux ne sont pas le même jeu.1

Dans cette profusion, la règle est, pour Colas Duflo, primordiale à toute autre chose :

Le jeu est un système de règles qu’on qualifiera de structure.2

Cette structure réglée, cette légalité, est productrice d’une liberté singulière : la légaliberté.

Duflo, après un examen critique des classifications antérieures du jeu, aboutit à cette définition du jeu avec la création du concept de légaliberté, et de ce qu’il contient de caractéristiques propres à l’action de jouer. Duflo définit ainsi le jeu :

Le jeu est l’invention d’une liberté dans et par une légalité.(Colas Duflo Jouer et Philosopher p.57)

Nous verrons qu’il existe, selon lui, deux sortes de règles. Elles définissent et régissent toutes les composantes et caractéristiques du jeu : son espace-temps, l'objet et le contrat ludique. La clôture spatio-temporelle, l’espace relationnel qui en découlent ainsi que la compétence, la pensée et l'agir ludiques qu'ils produisent sont également permis, créés et encadrés par cette même structure.

L’objet ludique

"Ce qui fait qu’un bâton devienne une épée, ou bien une canne à pêche, est une règle d’usage. Même dans le jeu libre, la règle est première, et structurale, c’est-à-dire qu’elle donne sa forme au jeu.

Elle s’incarne dans des réalités et des images et les constituent en objets ludiques.3

Une capsule devient une "reine" ou un "fou" selon les règles qui déterminent ses déplacements dans l’espace et le temps du jeu. La même capsule, pourrait n’être qu’un pion dans un jeu de dames ou de Go.

La présence d’un seul type d’instrument de musique, ou de plusieurs, peuvent constituer un objet ludique : ex. opposer des familles et des timbres, jouer sur les nuances permises. Mais l’on peut encore détourner les conventions communément admises (ex. une guitare pour plusieurs participants) ou détourner un objet de son usage habituel (ex. À Mayotte, les plaques de four, et les tambours de machines à laver sont considérés comme des instruments traditionnels). Tout est affaire de conventions... L’objet ludique peut consister à ne prendre que trois notes dans une gamme, ou jouer avec une cellule rythmique, ou bien le tout combiné...

Le contrat ludique

Lévi-Strauss remarque dans "La pensée sauvage" que:

Le jeu produit des événements à partir d’une structure.(Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris: Plon, 1962. )

Le jeu, son matériel, le nombre de joueurs, leur relations et leurs interactions dépendent des règles. La négociation de ces règles est parfois nécessaire à l'indispensable "accord préalable" de la part des joueurs (principe décisionnel). Il y a un contrat ludique sur l’ensemble des règles qui vont être appliquées (on joue à telle belote et pas une autre). Et Duflo de souligner que ce contrat ludique est du même ordre que le contrat social chez Rousseau. (un lien pour les incultes svp)

Les jeux proposés dans le paragraphe précédent peuvent être reproduits par l’apprenant en solo, entre deux cours. À plusieurs, ces jeux peuvent être modulés encore une fois, selon que nous ayons une seule famille d’instrument ou non, des niveaux homogènes ou non, la posture du ou des professeurs encadrant, jouant ou non avec les élève.

La présence ou non de partitions, et la marge de manœuvre laissées entre celles-ci et les conventions esthétiques établies (ex. la version de Ainsi parlait Zarathoustra par Eumir Deodato). La présence d’un directeur de jeu, ou une organisation collective (ex. l’interprétation de "Nardis", par le trio Pilc-Moutin-Hœunig (album "Threedom") : quelques notes du thème seulement sont reprises, pour une interprétation libre, conventions mouvantes en cours d’interprétation, qui font qu’aucune version n’est la même, tout en restant esthétiquement du jazz.)

La compétence ludique

Position et relation des différents objets ludiques entre eux indiquent que l’important n’est pas le pion. La compétence ludique se remarque par le degré d’intégration des règles par le joueur, d’où souvent le "tour pour rien", afin d’en vérifier les bases. A ce propos, Duflo distingue les règles constitutives, des règles régulatives.

Clôture spatio-temporelle et espace relationnel

Gagner ou perdre, voilà un événement produit par la structure du jeu. (Colas Duflo p.106)

Bien qu’il s’agisse dans les deux cas de jeux de balles, on ne joue pas au foot comme au volley. Le même type de clôture spatio-temporelle encadre pourtant chacun des jeux : quand la partie est finie, on peut en recommencer une nouvelle. L’espace relationnel, c’est-à-dire les relations entre les joueurs, différentes de part et d’autres, repartiront d’une relative égalité entre les deux équipes, pour aboutir à nouveau à un déséquilibre entre les deux, en fin de partie : un gagnant et un perdant.

Quel serait l'équivalent en terme musical ? Si tant est qu'un public soit présent pour entendre ce que l'on joue, les sons que l'on produit, on peut dire que de son point de vu, le joueur sera gagnant si le public est satisfait (si tel est bien son objectif). Le jeu est terminé quand le public applaudit (ou pas). Dans le cas d'un cours, le public serait le professeur, qui pourrait valider ou non la réussite de l’exécution musicale. Le jeu est terminé quand le professeur fait un retour. La transposition est plus évidente dans le contexte d'un examen et encore plus d'un concours.

Mais on peut aussi considérer ce qu’en dit le philosophe Colas Duflo à ce sujet :

Il y a des jeux sans conflits, sans mesure des puissances, mais il n’y a pas de jeux sans réussite. (cela résout les faux problèmes comme l’activité désintéressée, par ex., le jeu comme activité "autotélique". […] Cet accroissement de la puissance d’agir procure une joie qui fait incontestablement partie du plaisir ludique. (Colas Duflo; p.233)

On peut tout à fait prendre plaisir à jouer de la musique sans qu'aucun public ne soit présent. Mais là encore on pourrait, dans certains cas, identifier l'égo à une forme de public...

La musique n’étant pas un jeu à somme nulle, la clôture spatio-temporelle ne peut (ou du moins ne devrait pas systématiquement) être déterminée par le fait qu’il y ait un gagnant et un perdant. D'autres éléments sembleraient plus appropriés à déterminer la clôture spatio-temporelle dans le cas de la musique et/ou de son enseignement:

  • le temps/la durée du cours
  • le temps/la durée d'un morceau
  • la réussite d'un exercice
  • la fatigue, la lassitude (heu... oué non on va essayer d'éviter ça justement ;-))
  • le concert de fin d'année
  • ...

Nos marges de manœuvre sont conditionnées par la structure pédagogique, selon qu’il s’agisse de cours particulier/collectif, à domicile, de structures associatives, d'institutions publique... Pour le musicien-enseignant, la négociation de certaines conventions se heurte parfois à la résistance de conceptions implicites. Néanmoins, le cours peut être organisé en ménageant des temps de jeux délimités pendant la séance, sur une séquence de plusieurs semaines... Idem pour l'espace physique: pourquoi se limiter ? Ici aussi, il peut être très enrichissant de jouer à "pousser les murs" ou aller voir ailleurs "comment ça sonne".

***

Identifier les différents éléments qui structurent un jeu (une pièce, un idiome...) peut nous permettre de l'adapter à de nombreuse situations artistiques ou pédagogiques. Ceci peut être très utile lorsqu'il s'agit, par exemple, d'expliquer et/ou de faire expérimenter un jeu (ou un procédé musical) en dehors de son contexte habituel. Lors de notre passage à la Maison Des Jeux de Grenoble, nous avons aborder cette situation d'analyse et de présentation d'un jeu à travers l'exemple du jeu "Sortilèges".

En analysant la structure des jeux (pièces, procédés musicaux, situations pédagogiques...) nous avons ainsi bon espoir d'améliorer nos manières d'en transmettre les règles.

***

1. Colas Duflo : "Jouer et philosopher", PUF, 1997, Chapitre I : « Vers une définition du jeu ».

2. Ibid. p.104.

3. Ibid.


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