L’atelier de création et de découvertes électroniques à la médiathèque de Vaise
Faisons l'expérience d'un dispositif électronique au sein de la médiathèque de Vaise. Nous avions entendu parler de celle-ci lors de notre formation au Cefedem AuRa, un centre de formation de professeurs de musique. Nous connaissions déjà la bibliothèque et médiathèque de La Part-Dieu. Ayant déjà passé beaucoup de temps dans cette dernière, nous souhaitons aller voir comment nous pourrions intervenir au sein de la structure de Vaise, qui nous était encore étrangère. La médiathèque est pour nous un lieu de découvertes musicales, d’écoutes, de travail et de rencontres.
- D’amener les participants à créer un spectacle, ou une pièce, suite à un travail hebdomadaire sur un dispositif électronique créé pour l’occasion.
- De réfléchir à des manières d’utiliser nos outils de musiciens électroniques à une action de médiation.
- De prendre le temps de faire découvrir certaines esthétiques et pratiques musicales en nous appuyant sur les ressources de la médiathèque afin d’amener les participants à profiter de ce lieu.
- De partager une expérience avec des habitants et de participer à la vie de la structure. On souhaitait que les ateliers se déroulent dans les lieux de “passages” ou lieux de vie de la médiathèque. L’intérêt était de susciter l’écoute et la curiosité des passagers de la médiathèque. Cela faisait écho à la notion de 3ème lieu, souhaitant les médiathèques comme un lieu de vie et de relations humaines, dont on avait discuté avec une partie du personnel de la médiathèque. Ce concept fait référence aux lieux où de rencontre en dehors de la maison et du travail.
Café-Musique VS Ateliers Pratiques
Le 24 Mai, lors du premier rendez-vous, Noria et Damien, discothécaires à l’espace numérique, nous accueillent avec du café et des gâteaux autour d’une table, confortablement assis sur des canapés. On a tout de suite senti une qualité d’accueil, montrant l’intérêt qu’ils portent à notre tâche. En tant qu’artistes invités, on se sent à l’aise pour proposer notre action de médiation.
Nous partons avec l’idée d’organiser des “ateliers pratiques” qui amèneraient les participants à créer eux même l’action et le jeu à partir du dispositif que nous comptons mettre en place.
Histoire du compromis
Suite à notre présentation du projet, un problème pratique majeur a été soulevé, notre projet comportait trop de séances. En effet, la médiathèque a l’habitude d’organiser des actions de “café-musique” mensuels, un temps de présentation et de rencontre autour d’un style musical et de croissants les samedis matin.
La forme qu’il nous propose dès lors semble s’apparenter à une conférence ou un concert magistral sans intervention active de la part du public. C’est sur cet aspect actif qui nous fait prendre conscience que nous ne voulons pas faire notre dispositif calqué sur le café-musique. Selon nous, la médiation demande de l’action de la part de l’intervenant et de l’intéressé. Ce dernier doit être acteur de son apprentissage pour qu’il puisse en émerger un échange entre nous ou eux. La démarche de notre dispositif s’inscrit sur l’expérience de l’utilisateur lui-même et par rapport aux autres. C’est pourquoi le format magistral d’un café-musique allait à l’encontre même de notre démarche de médiation.
Si Noria et Damien nous proposent ce type de dispositif, c’est parce qu’il est déjà ancré dans les moeurs de la médiathèque et que les gens qui viennent voir ces café-musique ont des habitudes d’apprentissage plus passives, par rapport à ce que nous comptons proposer.
Nous devions alors jouer avec l’existant afin de laisser émerger notre action. Toutes ces stratégies étaient possibles car Noria et Damien furent nos complices actifs dans le processus de métamorphose du café-musique. Ils acquiescent à nos toutes nos propositions et n’hésitent pas à nous poser des questions (d’ordre musical et pratique).
Ils souhaitent remuer les standards de médiation existants dans ce lieu. Ce qui est très encourageant pour la bonne préparation du dispositif. Le travail de médiation commence à prendre forme car on s’aperçoit que Noria et Damien détiennent les clés des problèmes ou solutions pratiques, quant à l’organisation du dispositif dans le lieu.
Au fur et à mesure, chacun s’accordait sur le monde du vraisemblable et du raisonnable de l’autre. Le projet a été le résultat d’une série d’arrangements entre nous, artistes invités, le lieu, la médiathèque de Vaise, et le personnel présent sur place. Nous avons convenu de quatre moments d’ateliers aboutissant à une restitution, de la part des participants, lors d’un café-musique.
Ensuite, nous discutons alors de la manière dont notre dispositif pouvait s’accorder avec l’idée du 3ème lieu. Ce concept est en adéquation avec notre projet. C’est un terme propre au milieu des médiathèques que nous ne connaissions pas. L’idée de lieu de rencontres et de jeux en dehors des espaces traditionnels nous plaît.
C’est pour cela que nous voulons l’effectuer dans le hall d’entrée ou au sein des espaces de lecture ! Nous voulons réaliser notre action dans un lieu de vie et de passage. Cependant, ils n’ont pas pu nous assurer que cela serait possible. Elle demandait une organisation logistique compliquée (mettre des tables, prévoir des prises, etc…). De plus, ce type d’intervention se déroulerait habituellement dans l’auditorium. À ce moment-là, rien n’est décidé concernant l’espace de réalisation du projet. La question reste en suspens.
Seuls face aux lois de la physique ?
Ensuite, Damien nous fait visiter les lieux. On sent alors une certaine inertie qui empêchait de bousculer les habitudes de la médiathèque. Chaque petit changement demandait une organisation logistique semblant insurmontable. La première loi de Newton s’applique, nous étions un peu découragés. Ils nous ont d’ailleurs, à plusieurs reprises, demandé de nous produire en concert comme à leur habitude lorsqu’ils accueillaient des artistes. Mais nous ne réalisions pas encore que les résistances apportées par la médiathèque allait permettre d’idéalement structurer notre projet par rapport à celle-ci.
La négociation à l’amiable continue !
Le 16 juillet, nous recevons un mail de Noria nous indiquant un problème concernant le planning fixé. Tous les deux occupés de notre côté, elle nous relance le 11 septembre. Noria nous propose alors un nouvel aménagement horaire qui a concentré nos séances sur deux jours. Cela nous convenait. À ce moment là, nous lui fournissons un descriptif final des ateliers afin qu’ils entament leur travail de communication au sein du magazine Tempo. Voilà ce que nous leur proposons :
“Si vous avez toujours rêvé de vous plonger dans le monde de la Musique Assistée par Ordinateur (MAO) et de découvrir les synthétiseurs : c’est le moment ! Profitez de ces ateliers encadrés par des musiciens éclairés sur le sujet !
L’atelier de création et de découvertes électroniques, c’est une immersion dans la musique dite amplifiée. Venez découvrir ce monde sonore à travers des écoutes, tirées des cultures populaires et savantes, ainsi que des mises en musique collectives, sur des dispositifs adaptés pour l’occasion, guidée par deux étudiants du CEFEDEM AuRa.”
Nous souhaitons une présentation la plus large possible afin d'accueillir tout type de public. On ne veut surtout pas réserver exclusivement ce moment à des initiés ou à une culture musicale spécifique.
Visite surprise !
Le 7 novembre, nous décidons d’organiser une visite surprise à l’espace numérique et musical. Le but est de chercher des ressources dans la base de données et d’emprunter des disques à présenter lors de nos interventions. Naturellement, nous croisons Damien qui nous fait visiter l’intégralité de la médiathèque. Il nous présente l’espace numérique et musical. Nous discutons alors des potentiels endroits où nous pouvions réaliser l’atelier sans vraiment se mettre d’accord. De plus, nous parlons du droit à l’image et des papiers à faire remplir aux participants afin que nous puissions utiliser nos captations vidéos. Suite à cette visite, nous constituons une sélection de morceaux trouvés le jour même. Le but est de mettre en valeur les ressources de la médiathèque via notre dispositif. Cela permet également de se rendre compte que la relation entre ce que l’on fait et ce que la médiathèque propose, est déjà là, avant notre présence. Il y a déjà eu une relation établie avant nous et on ne fait que la prolonger. Ce ne sont pas deux mondes séparés. Voilà notre sélection :
- All melody de Nils Frahm
- Late Night Tales de Agnes Obel
- Love Streams de Tim Hecker”
(Les morceaux sont disponibles en écoute via ce lien !)
Oups !
Le 8 novembre, Damien nous annonce par mail, quelques jours avant notre intervention, que ce n’est pas possible de réaliser notre dispositif à l’entrée comme prévu depuis notre premier rendez-vous. Son supérieur n’est pas d’accord. Nous sommes super déçus car nous pensons que Damien a demandé l’autorisation beaucoup trop tard. Ça nous a rappelé à quel point il est difficile de changer les projections d’autrui de ce que doit être un moment musical. Les fonctions des espaces sont bien instituées et ne peuvent pas être transgressées. On veut donc nous mettre dans un lieu dévolu à la musique. Malgré de bonnes volontés de la part de Damien et Noria, les institutions publiques ne permettent parfois pas beaucoup d’initiatives individuelles.
L’ultime rendez-vous
Le mardi 13 novembre, afin de se mettre d’accord sur le contenu des ateliers et du café-musique, nous organisons un dernier rendez-vous.
Damien nous accueille dans les bureaux collectifs de la médiathèque. Nous lui expliquons comment nous envisageons concrètement l’atelier. Nous lui présentons rapidement un des logiciels utilisés (Ableton Live) ainsi que des photos du matériel (MPK261, Mackey Mackey,...). Il nous demande alors quelques conseils et ressources vidéo pour compléter sa présentation, qui était déjà aboutie. Nous nous sommes mis d’accord sur le déroulement du café-musique, il devait d’abord effectuer sa présentation puis nous laisser place pour présenter le rendu des participants de notre atelier, ainsi qu’une explication du dispositif. Dès lors, tout était organiser pour que nous puissions le faire.
Enfin du concret !
Le 21 novembre, nous avons rendez-vous à 13h afin d’installer notre matériel. En nous ouvrant, le gardien nous dit que le projet est annulé. C’était une blague. Mais Césaire l’a mal pris et n’a pas compris l’humour du gardien. Nous sommes tendus avant l’installation car on craignait de ne pas avoir assez de temps.
Les deux ateliers sont complets. Quelle surprise pour nous ! Nous craignions de n’avoir personne. Damien était très content de toutes les demandes qu’il a reçues. Notre public est composé de dix participants par atelier où chaque génération était représentée, de l’âge tendre en passant par la fleur de l’âge jusqu’au plus vénérable. Notre matériel était constitué d’ordinateurs (avec les logiciels Ableton Live, Max For Live et Usine), de synthétiseurs (MS-20), de pédales d’effet (Strymon el capistan et Blueverb), de clavier maître (MPK261 et MPK mini), de contrôleurs divers (Webcam, Keith Mcmillen 12 step et le Mackey Mackey), d’une table de mixage et de trois paires d’enceintes réparties dans la pièce.
Nos ateliers s’organisent en trois temps :
- Une présentation de chaque participant (prénom, pourquoi ils sont venus, pratiques musicales ou non) ainsi qu’une présentation du dispositif et de chacun de ses instruments.
- Un temps d’expérimentation avec les instruments.
- Une phase d’improvisation enregistrée.
Etant donné le nombre de participants, nous les avons divisés en deux groupes qui alternaient entre acteur et auditeur. Quand un des groupes jouait, l’autre écoutait.
Du café et de la musique.
Le samedi 24 novembre 2018, nous avons rendez-vous à 9h pour installer le matériel. A cause de grève de métro, nous sommes arrivés vers 9h20. Etant donné que tout le matériel était déjà sur place, cela ne nous a pas mis beaucoup de temps à tout réinstaller. Par contre, Damien semble anxieux par rapport à sa présentation et certaines de ses vidéos ne sont plus intégrées à son Powerpoint. Il y a très peu de monde, environ huit personnes dont une amie et une personne de la médiathèque. Il n’y a aucun âge tendre... Nous profitons alors du petit effectif pour changer nos plans et l'adapter aux personnes présentes. Au lieu de montrer un rendu de l’atelier, nous avons refait un atelier à la manière de nos expériences du mercredi. Nous avons pris les contacts des participants afin de leur envoyer les enregistrements des ateliers ainsi que nos ressources matérielles.
Ce projet nous a fait comprendre quelque chose d’important, l’interaction entre une structure et ses acteurs. Le café musique est devenu est un atelier pratique. Toutes les problématiques que posaient ce nouveau format ont permis à celui-ci de s’adapter à la médiathèque. Par exemple, nous souhaitions d’abord jouer au sein des lieux de passage, mais Damien nous a annoncé que cela n’était plus possible. Nous pensions que cela poserai des enjeux différents, même si nous savions que l’on pouvait facilement s’adapter à l’auditorium. Finalement, le dispositif était effectivement plus adapté à l’auditorium car le hall était trop bruyant pendant nos plages horaires. Les employés de la médiathèque avaient une compétence que l’on ne disposait pas sur leur lieu. Une action de médiation doit donc être préparée en amont et adaptée sur place. Les contraintes du lieu (les espaces, individus, et rythmes) doivent être gérées de manière créatives !
Césaire et Gabriel,
musiciens de musiques électroniques au sein label Discolored Field.
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